Il y a des jours comme ça (1)

Publié le par Thomas

où l'on se sent bien. Le temps est clair, les Girondins ont gagné la veille (nul doute que je reviendrai là-dessus), le film qu'on a vu s'il n'était pas génialissime était tout au moins gentillet. Ma copine n'est pas là, mais je sens qu'elle prend de plus en plus d'importance pour moi.

Petit retour sur les années qui précèdent : j'ai toujours été quelqu'un de plutôt dépressif, d'assez renfermé à la sociabilité et à la communication douteuse. Dès avant que je devienne ingénieur (chose que je regrette a posteriori, ayant eu la possibilité d'entrer à Sciences Po Bordeaux - je ne suis ni un pur technicien, ni un pur littéraire), lors d'un entretien pour une école d'ingénieur, une psychologue m'a dit que je devrais suivre un thérapie pour régler mes problèmes de timidité. Je n'y ai jamais cru. Du haut de ma prétention, atavique, je me suis dit : "Non tu vas régler ça tout seul". Evidemment ça n'a pas marché. Diplôme d'ingénieur passé, je suis entré sur le marché du travail avec un premier boulot qui n'a pas fonctionné, à Dreux, ville qui doit avoir un couvre-feu pour ne pas avoir de resto ouvert après 19h.

Deuxième boulot : en entreprise de conseil, sur des thèmes de dynamique rapide (emboutissage, crash véhicule). Pas de problème coté technique, coté com toujours le même problème : une faible confiance en moi, la tendance à ne pas m'imposer assez. Le contrat se finit en sucette après la fin de la dernière mission, l'entreprise ne me trouve pas du boulot et me colle des tonnes de mini-fautes pour pouvoir me virer, en essayant de m'arnaquer sur les indemnités. Je deviens informellement au chomage, le boulot avait été intense et passionnant et me revoilà sans rien à faire. Je suis seul et je le vis très mal, je ne sors plus. Je rédige ma lettre de contestation et je finis par prendre un avocat, qui accepte le boulot pour les prud'homme alors que la CGT m'avait dit que je n'obtiendrais rien. Et finalement mon ex-entreprise à consenti à m'indemniser.

Tout en étant en préavis, je cherche du boulot et parallèlement je m'inscris à la préparation au concours de prof, plus par défaut que par réelle conviction. Mes parents ont été profs et ça s'est plutôt bien passé pour eux, donc... Des boîtes me contactent mais me redirigent vers le boulot que j'ai déjà fait, chose que je ne souhaite pas, l'impression désagréable d'être déjà inscrit dans une case malgré ma courte expérience.

En juin 2004, c'est-à-dire peu après, ma copine de l'époque, qui faisait des allers-retours Paris-Genève (elle était Suisse), semble s'éloigner de moi, je n'ai plus de nouvelles. Pas de réponse au téléphone, quand j'arrive enfin à la contacter c'est sur MSN, pour qu'elle me dise que c'était fini. Sans commentaire.

La préparation aux concours se passe, je m'ennuie un peu, même si je parviens à me lier d'amitié avec quelques collègues et à faire des foot de temps en temps derrière l'IUFM (la première fois, on a joué quasiment un match normal, 90 minutes, le lendemain j'avais plus d'articulations). Je passe le concours, je suis reçu.

Commence l'année de stage, lycée ancien à l'infrastructure vieillotte. Il se situe à Charenton, pourtant banlieue plutôt "cosy". Déjà, j'ai l'impression de faire le bouche trou, je n'ai que des bac pro alors que les stagiaires IUFM doivennent avoir des BEP, un tuteur présent 2 h par semaine, aucune ressource de cours disponible pour démarrer. L'ambiance du lycée : insultes, cris, piccole à l'intérieur même du lycée, rentrent et sortent des salles de cours comme bon leur semble, y amènent éventuellement leur copine. Sinon ils se battent entre sections dans le bois de Vincennes tout proche ou se font prendre dans des grosses bagnoles à la sortie de lycée. Aucune réaction de l'administration du lycée. J'ai failli craquer au cours du stage, mais j'ai finalement été titularisé. Ah oui, j'ai oublié les multiples pétards et fumigènes en cours. Un élève apprend à un de mes collègues en fin d'année de bac qu'il n'a rien compris au pourcentages.

Je suis muté à Paris pour mon premier poste. Plutôt une bonne nouvelle a priori. Le lycée est très cosy, très bien équipé, mixte filles-garçons. On croirait qu'on pourrait inviter la proviseure à boire un verre tellement elle est sympa, on prend des verres avec un de mes collègues tellement il l'est aussi. Les élèves sont un peu difficiles mais de bonne volonté. Un élève me menace pour une appréciation qu'il n'a pas aimé, la CPE règle le problème immédiatement sans que j'aie à porter plainte. Il est aussitôt non pas viré mais replacé ailleurs. Le seul problème est que je suis remplaçant (TZR dans le langage éducation). Je fais la connerie de revoir les horaires pour faciliter la création d'un poste dans ma matière : grave erreur et aussi naïveté de ma part, un poste est créé, mais c'est quelqu'un d'autre qui l'obtient. Dehors donc et toute mes deux années de cours prêtes avec.

Nouvelle année, nouveau lycée. Déjà ça démarre mal, 18 h de cours à faire étalés sur 5 jours. 5 sections différentes et 3 spécialités. L'IUFM m'a dit : les cours tu dois les faire en t'adaptant à ta spécialité. Bilan : je n'ai aucun cours de BEP, je dois tout préparer, très souvent jusqu'à 3-4 h du matin pour me lever à 6h. Bon il y a aussi que j'aime bien avoir mes propres cours, j'aime bien pousser les choses à la perfection et ça, ça prend du temps.
Donc je suis extrêmement fatigué. Je suis un prof plutôt à la cool et par conséquent je ne maîtrise pas trop la discipline et je me laisse déborder (ç'a été là ma grosse erreur). Par ailleur, je n'ai pas réellement envie de faire de la discipline en cours, j'estime que ça n'est pas mon job. Même si, au contraire de ce qu'on croit couramment les élèves la demandent : ils recherchent le cadre qu'ils n'ont pas à l'extérieur

Première étape, j'apporte mon ordinateur portable, en cours. Je ne le sors pas du sac. Lorsque les élèves partent  je reste dans ma salle et je ne me rends compte de rien. Je quitte le lycée. Le sac me parait très léger, je vérifie : plus de portable. Je vais en parler à l'administration qui m'interroge comme si j'étais le coupable. A coté j'ai été porter plainte c'était presque léger. L'administration maugrée pour intervenir en cours devant les élèves. Ensuite j'en parle à d'autres élèves plus âgés, l'un d'entre eux me dit : "je connais les voleurs, je vous le rapporte demain".
Chose faite le lendemain. La proviseure prétend être intervenue alors qu'il n'en est rien, elle me dit : "il y a des choses que vous n'avez pas à savoir". Lesquelles ? Je l'ignore toujours. Au moins j'ai récupéré mon outil de travail que je n'ai plus jamais rapporté au lycée.

Noël 2007. Je respire mal par le nez, j'ai souvent la bouche ouverte et des formation disgracieuses se forment sur mes dents. Un élève pose sur ma table le message suivant avec une brosse à dents : "Bonne fêtes, brosse toi les dents tu pues de la gueule". J'ai vu l'élève posé le truc, mais tous les autres rigolaient. J'ai viré cet élève, qui n'a eu... aucune sanction.

Printemps 2008. Entre temps je ne maîtrise toujours pas plus mes élèves. Pour avoir un cours plus interactif, j'utilise un videoprojecteur. Fin du cours, se forme une bagarre que j'essaie de séparer. Les esprits se calment, les élèves sortent. Problème : un câble du videoprojecteur. En descendant je trouve mon carnet d'absence piétiné dans l'escalier. Un collègue me rapporte mon cahier de notes jeté par terre dehors. Je vais voir la CPE qui me dit grosso modo qu'elle n'a pas que ça à faire d'aller fouiller les élèves moi-même. Pas de sanction

Je craque complètement et mon médecin m'arrête presque jusqu'à la fin de l'année. Je reprends fin mai, un élève me provoque avec son portable après justement une réunion sur la discipline. Je suis à deux doigts de craquer et de lui en coller une. Pour éviter ça je vire tout le monde. La proviseure qui était encore là me ramène les élèves. Je tremble et je bégaie, je crois qu'elle a enfin compris.

Deuxième année, cette fois-ci, mon emploi du temps et bien plus condensé et plus spécialisé. Mais le coeur n'y est plus, je n'arrive toujours pas à imposer ma discipline. Les élèves n'ont rien à cirer de mes cours, retrouvés régulièrement à la poubelle et parfois je bloque complètement le matin en me levant. D'une manière surprenante, mon inspection se passe bien, j'ai même une bonne note. Comme quoi ma pédagogie n'est pas en cause, mais le déroulement du cours est l'exception qui confirme la règle. Je n'y crois plus, je sombre à nouveau, je suis arrêté. Maintenant depuis un mois.

Voilà en résumé ma carrière professionnelle et un des éléments d'un ensemble qui m'ont conduit à la dépression. Les profs se plaignent souvent, c'est vrai, parfois à tort, parfois à raison. Il faut reconnaître que c'est un milieu statique, fermé quasiment irréformable.

Perso je n'ai plus envie de me plaindre, ça me saoule et ça m'a fait perdre des copains et des copines.

Aujourd'hui j'ai à nouveau envie de choses, d'autres choses et certainement pas de cours. Ca veut dire que je remonte la pente et j'en suis content. Très content même.

Publié dans Humeur

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